C’est d’abord une ligne d’horizon, vague, puis verdâtre. A mesure que l’œil se rapproche, la forêt se dessine et le végétal dru lentement s’impose. C’est alors une côte d’un beau vert ouaté, c’est une canopée crêpée de promesses.
Quand les yeux des marins s’autorisent enfin une autre couleur que l’azur, après plusieurs semaines de navigation, le Brésil n’est alors qu’une exclamation : « c’est le Paradis terrestre ! », frais comme au huitième jour de la création.

Blaise Cendrars, le squatter de steamer, tombe dans le même panneau végétal. Lorsqu’il approche des rivages du Nordeste et de l’Etat de Rio de Janeiro, lui aussi expérimente l’annonce quasi mystique faite au voyageur qui réalise que « le simple fait d’exister est un bonheur » (1). L’évocation d’un paradis, si explicable pour des marins suffisamment épuisés pour croire en leurs plus aveuglantes hallucinations, l’est beaucoup moins lorsqu’elle empâte les bouches repues des voyageurs désoeuvrés qui accompagnent l’écrivain.
Mais le Paradis est un concept fuyant d’où l’on est facilement chassé. L’originelle faute d’être tenté par la nouveauté se paie. La ligne verte est franchie et, petit à petit, les voyageurs, redevenus pécheurs après une courte illumination, s’enfoncent dans les terres. Heureusement, au tropicalisme luxuriant des côtes succède, au Brésil, le baroque touffu des états et des villes intérieures. Comme l’avaient déjà annoncé les morros des côtes, ligne végétale et courbe minérale se lovent, puis s’épousent au fil des kilomètres et c’est à nouveau un monde neuf qui se donne à voir.
Dès le XVIIe siècle, ces nombreux pêcheurs débarqués se pressent au-delà de la mata atlantica, rempart émeraude qui s’étiole au fur et à mesure qu’il sera fait commerce de son bois. Mais, cette fois-ci, c’est la pierre qui intéresse les nouveaux arrivants. La prospection minière creuse leur appétit et un état en particulier se distingue par la richesse de ses sols: le Minas Gerais, les mines générales. C’est en suivant cette logique où l’imagination ne joue aucun rôle dans la désignation des lieux que les villes seront nommées. De l’or est trouvé, aussitôt la ville est baptisée Ouro Preto, Or noir. Plus tard, des diamants sont découverts en quantités suffisantes pour inquiéter les bourses mondiales et Diamantina sort de terre. Tout y sera richissime : pierres et or pareront tout ce qui sera digne d’être apprêté.
Ces aventuriers mettent ainsi la main sur un autre paradis et ils ont tout le loisir de lui donner la forme qu’ils désirent. L’ironie veut que c’est à l’origine même de leur naissance au Nouveau Monde qu’ils trouvent l’inspiration. Les feuilles sont désormais d’or et soulignent le nouveau décor, alors que les diamants gouttes extraits du minéral sertissent d’opulantes rivières. Le nouvel Eden n’est finalement que le prolongement de celui des côtes. Seul le matériau à façonner change, l’intention des débuts demeure : conférer à son point de chute l’éclatante luxuriance des origines.
(1) Blaise CENDRARS, Brésil. Des hommes sont venus, Folio, 2010.
Pour plus de Brésil, car on veut toujours plus de Brésil: Barroco mineiro