Malgré des décennies de bon sens hygiéniste, et autant de théories propres à débarrasser la ville de tous ses agents pathogènes pour la rendre vivable, c’est toujours loin de la cité – et surtout en hauteur – qu’on trouve à se réfugier lorsque le danger guette. L’air y est plus vert. Et on y sera seul.
Toujours plus haut pourrait être la devise d’Esparon, minuscule village des Cévennes méridionales, en équilibre sur son éperon venteux, à flanc de rochers qui ne demandent qu’à dévisser. Là-haut, on s’y réfugie depuis toujours, pour fuir les persécutions – religieuses autrefois, numériques aujourd’hui -, les massacres armés ou plus grave encore les conflits insolubles avec soi-même. Et, depuis peu, comme une vieille tradition oubliée qui se rappelle au bon souvenir de tous, ce sont les épidémies qui font à nouveau grimper, car c’est tout là-haut, sous les mûriers retraités, dans la lavande bourdonnante, au chaud au cœur des pierres qu’on trouve matière à se mentir. Comme au temps où la peste invitait les personnages de Boccace à établir un nouveau point de fuite dans l’imaginaire, on y trouve l’espace idéal pour se raconter des histoires, se dire que tout va bien, et surtout que tout ira pour le mieux.





Mais quelles histoires se raconter au juste, maintenant que le monde se contemple de loin, et de haut ? Que faire lorsqu’on ne pense pas posséder les compétences requises pour s’imaginer un monde illimité et éliminer les frontières qui avaient su se faire oublier un temps et qui retrouvent une ligne certaine ? A la peur du vide – à la peur tout court -, on est libre d’opposer un mouvement simple, un changement, un basculement en réalité, celui de la nuque vers l’avant, qui projette le regard et qui ramène vers soi le lointain ou rapproche encore davantage le déjà proche. Aucun besoin d’inspiration pour ces histoires-là, juste d’un peu de flexibilité pour réapprendre à s’amuser d’un rien, et se distraire de tout. Cette proximité retrouvée vient avec son lot de mystères inédits, mais à vouloir y regarder de trop près, sait-on où s’arrêter ?
Il ne faudrait pas trop se leurrer. Regarder au plus près ce que la distance brouillait n’a rien d’un remède miracle. Dans l’infiniment petit, il est aussi facile de se perdre. L’atout majeur de ce petit exercice réside ailleurs. S’élever et contempler, c’est au final déjà temporiser. Au moment de voir à nouveau ce que la frustration peut offrir et récolter le nutriment indispensable à l’épanouissement des plus belles salades, on aura déjà oublié que plus bas, aux pieds de la montagne, dans la ville qui rampe jusqu’à ses orteils boisés, la vie rattrapera la courageuse, mettra la main sur l’intrépide, qu’ils le veuillent ou non. Mais pendant un instant – déjà un instant – on aura su exceller dans l’art naturel et sans âge de se mentir en toute sincérité.
Pour encore plus d’Esparon, la galerie Voir en Cévennes est là.